Rencontre avec Pierre-Yves Donzé.

ARC HORLOGER a eu récemment le privilège de s'entretenir avec Pierre-Yves Donzé, historien et professeur d'histoire économique à l’Université d’Osaka. A travers ses réponses, il nous livre son analyse sur les savoir-faire en mécanique horlogère et en mécanique d'art, leur transmission ainsi que leur place dans l’industrie actuelle.

Pouvez-vous nous décrire brièvement votre parcours et ce qui vous a conduit à vous intéresser à l’histoire horlogère ? 

C’est durant mes études d’histoire à l’Université de Neuchâtel dans les années 1990 que j’ai commencé à m’intéresser à l’horlogerie. Je travaillais comme bibliothécaire au Musée international d’horlogerie de la Chaux-de-Fonds (MIH) et ai pu découvrir de l’intérieur la richesse de cette industrie et de ses produits. A la même période, j’ai pu assisté à un enseignement d’histoire économique très stimulant donné par Philippe Marguerat, Laurent Tissot et des professeurs invités comme Jean-Luc Mayaud. Un milieu extrêmement motivant pour le jeune étudiant que j’étais !

Comment définiriez-vous un savoir-faire, et quel rôle l’histoire peut-elle jouer dans sa compréhension ? 

Les savoir-faire comprennent l’ensemble des gestes mis en œuvre pour produire un bien. C’est la capacité à « savoir » « faire » des choses. L’histoire est importante parce que les savoir-faire ne sont pas immuables. Ils se transforment au cours du temps, selon les connaissances techniques et les besoins de la production. La connaissance historique permet donc de sortir d’une vision parfois idéalisée des savoir-faire et de jeter un regard réaliste et analytique sur cette question. 

Quelles sont, selon vous, les spécificités des savoir-faire en mécanique horlogère et en mécanique d'art dans l'Arc jurassien ? Au regard de vos connaissances des savoir-faire japonais, percevez-vous des différences entre ces deux traditions ?

Il est difficile d’affirmer qu’il existe des savoir-faire spécifiques à l’Arc jurassien. On en trouve aujourd’hui une grande variété dans cette région parce que c’est là qu’on en a besoin, mais ils avaient largement disparu avant les années 1980. La situation est similaire au Japon. Il y a aujourd’hui une grande richesse de savoir-faire mécaniques, illustrée par les nombreux.euses horlogers.ères indépendants.es nippons.nes, mais c’est un phénomène nouveau. Dans les deux cas, ce sont des « traditions » renouvelées récemment (à l’échelle de l’histoire).

Quels sont les principaux défis liés à la sauvegarde et à la transmission de ces savoir-faire dans l'Arc jurassien ?

L’histoire démontre que des savoir-faire inutilisés tendent à disparaître rapidement. Aussi, le principal défi est d’utiliser ces savoirs. Il peut s’agir bien sûr d’entreprises, mais pas seulement. Des institutions tels que les musées, comme le MIH et son atelier d’horlogerie, jouent le rôle de conservatoire des savoirs. Dans les années 1980, le Musée Patek Philippe et la maison de ventes aux enchères Antiquorum avaient joué ce rôle, comme l’a bien mis en évidence Hervé Munz dans ses travaux.

Quelle place les savoir-faire occupent-ils aujourd’hui dans l’industrie horlogère, et comment concilier leur authenticité avec les exigences de modernisation et d’innovation ?

Il faut bien comprendre que les savoir-faire « authentiques » n’existent pas, parce qu’ils ne sont pas figés une fois pour toute mais évoluent. La place qu’occupent les savoir-faire traditionnels dans l’industrie horlogère dépend des marques. Ce sont les marques dont le discours repose sur l’hommage à l’artisanat horloger qui représentent la meilleure opportunité de collaboration. Mais certaines marques plus orientées vers les designs modernes renouvellent leurs besoins en savoir-faire artisanaux et contribuent ainsi à leur transformation.